Bosquet

Pourtant ce petit bosquet à la sortie d’un champ… (extraits du livre Portraits d’arbres)

Notes de carnets :

Je suis entouré des couleurs de l’automne et pourtant je ne le remarque que rarement, mais quand c’est le cas je suis émerveillé par toutes ces nuances, du vert au marron, par la couleur jaune, rouge, orange, presque vive dans les bouleaux, dans les feuilles de sureaux, dans les liquidambars (il y a plusieurs grands spécimens au jardin des plantes de Nantes, devant lesquels je suis passé des centaines de fois sans y faire attention), dans les acers japonica, dans la couleur terre des feuilles prêtes à tomber, mortes.
J’ai du mal à dire feuilles mortes depuis que j’ai lu ce passage de Thoreau qui les compare à des fruits – je ne dis pas des pommes mortes après tout, alors qu’elles sont aussi prêtes à se détacher !
Toutes ces couleurs, c’est un plaisir d’abord, pour les yeux, pour cette partie de moi qui aime leur douceur, leurs variations qui sont comme des mélodies, qui m’emportent un peu dans leur légèreté. Mais si ce n’était que cela, n’aurais-je pas cette envie irrépressible de trouver d’autres arbres aux couleurs plus étonnantes, aux forêts plus flamboyantes ? N’aurais-je pas ce désir d’aller voir les forêts canadiennes, d’érables rouges, qui sont tels que Thoreau les voit s’enflammer ? En cette saison d’automne les petits arbres à l’orée des bois s’enflamment d’abord dit-il, précédant l’embrasement total des forêts d’érables rouges.

Pourtant ce petit bosquet à la sortie d’un champ n’était pas un appel à aller voir d’autres bosquets ou de chercher d’autres bois, d’autres forêts. Il m’appelait au contraire à me rapprocher de lui, à faire attention au rythme du changement de ses couleurs. Oui, ses couleurs sont plus ternes. Mais elles me demandent de me rapprocher, encore et encore, pour y voir dans ses simples nuances de bruns, toutes les couleurs, présentes entièrement, dans ce petit lieu au milieu de nulle-part. C’est un monde à part, qui paraît terne à première vue, mais possède en fait toute la gamme des couleurs de ce qui pousse et de ce qui se détériore. Ces couleurs accompagnent le cycle de ce qui vit et meurt au sein de ce petit bosquet, et c’est l’impression qu’elles suffisent.
Quand je suis proche du bosquet, assez pour entendre ses chuchotements, c’est en moi que je suis. Et le terne que je ne voulais pas voir prend soudainement des couleurs qui n’ont pas de nom dans ce monde. Ce n’est plus du gris, du terre, du marronnâtre. C’est une mélodie de nuances qui donne vie, qui est vie et donc à laquelle j’appartiens. Et ces couleurs deviennent mes couleurs, celles que je veux porter au devant du monde.
Il faut toujours que j’en revienne à des descriptions qui sont proches de ce que j’ai senti, vécu, et pour cela il faut que je retrouve ce souvenir comme s’il résidait tout entier dans une pièce, qu’il fallait la trouver et y être invité pour revivre ce souvenir et le restituer. Ce bosquet que j’ai croisé en voiture – et cette précision ne doit pas donner à cette vision un sens de précipitation – c’est comme si j’y étais encore, plusieurs heures plus tard et des centaines de kilomètres plus loin, debout face à sa frondaison, l’écoutant, cherchant à comprendre son mystère par ses mouvements de feuilles et de branches et par ses couleurs comme j’aimerais réussir à les peindre.

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