Angélus (extraits du livre Portraits d’arbres)

Notes de carnet :

La rencontre avec l’« Angélus » au quai d’Orsay a eu un impact fort sur moi, comme j’ai pu m’en apercevoir plus tard. Dans le grand domaine où j’exerce en tant que jardinier l’été, j’avais déjà remarqué un son de cloche particulier qui se glissait jusqu’où je travaillais. Seulement celui-ci ne portait ni nom ni signification particulière. Quand je me suis aperçu qu’il s’agissait de l’Angélus, une certitude a grandi : cette vibration venait d’ailleurs, non du métal, non de la religion, mais directement des coups de pinceaux de Millet, ceux qui font venir l’horizon jusqu’à l’intime des deux paysans. C’est ainsi que chaque matin j’attendais, parfois avec impatience, à cet endroit du domaine où les tintements traversaient le feuillage du bois. Caché – qui aurait pu comprendre ? – j’essayais de faire revenir l’attitude grave et paisible des deux paysans qui se tiennent à l’écart du monde, quelque part au delà d’une peinture.
Il est frappant que les coups de pinceaux de Millet, moins visibles que ses traits au crayon dans ses esquisses ou que la direction de son outil dans ses gravures, vont tous dans une direction : celle de la lumière de l’horizon. Seulement les figures semblent ne pas se laisser entièrement emporter par ce flux de lumière dans le paysage. John Berger y voit l’échec d’unir la figure à ce qui l’entoure.
Et tous ces tableaux – à des degrés variables – échouent. Ils échouent parce qu’aucune unité n’est trouvée entre les figures et ce qui les entoure. La monumentalité des figures réfute le tableau. Et vice-versa. Résultat : les figures, comme découpées, paraissent rigides et théâtrales.

Leave a Reply